Les inégalités économiques et sociales ont-elles une influence sur les comportements alimentaires ?
Pourquoi l'obésité se distribue-t-elle de façon différenciée dans l'échelle sociale ?
Contrairement aux idées reçues, être gros n'est pas simplement lié à un manque de volonté. Sinon, comment expliquer le nombre sans cesse croissant de personnes en surpoids dans nos sociétés ?
De nombreux facteurs peuvent influencer le poids, comme par exemple nos modes de vie ou l'offre alimentaire actuelle. Comprendre ces éléments permet d'appréhender le surpoids d'une façon plus globale.
1. Les choix alimentaires des consommateurs...
a) ...dépendent de leur catégorie sociale

Il s'agit d'un tableau à double entrée, publié dans l'Enquête Obépi-Roche en 2012, intitulé "Part de la population adulte obèse selon la catégorie sociale". Ce tableau met en relation les différentes professions (en lignes) avec pour dates de référence 2000 et 2012 ainsi que leur écart (en points).
On lira ainsi que, sur 20 000 foyers interrogés, 8,8% des employés adultes sont obèses en 2000 contre 16,2% parmi les professions du même rang social en 2012. C'est le même cas pour les cadres supérieurs, en 2000 ils sont 7,4% puis douze ans plus tard, 8,7%.
On remarque donc que l'obésité augmente considérablement pour les professions au bas de l'échelle (entre 2000 et 2012, on constate un écart de 7,4 points). Contrairement aux professions appartenant au haut de l'échelle, la part de la population adulte obèse n'augmenterait moins vite (l'écart est de seulement 1,3 points).
En moyenne, sur l'ensemble des catégories sociales ici représentées, la part de la population adulte obèse a augmenté de près de 5% en douze ans.
Ainsi, il existe une corrélation évidente entre l'obésité et le revenu des ménages. L'obésité augmente plus ou moins vite selon les catégories sociales.
b) ...dépendent de leur budget
L'alimentation est un budget incontournable qui pèse de plus en plus lourd dans le portefeuille des ménages. La situation économique mondiale , mais aussi les crises alimentaires survenues ces dernières années, contraignent les français à modifier leurs comportements face à l'alimentation.

De 222 euros à 539 euros mensuels: un budget alimentaire fortement varié
Chaque mois, les français déclarent dépenser en moyenne 396 euros pour s'alimenter.
Dans le détail, on distingue de fortes disparités selon la situation familiale, la catégorie socio-professionnelle* ou encore le niveau de ressources des personnes interrogées. Ainsi, les foyers français dont les revenus sont supérieurs à 3500 euros par mois dépensent 539 euros, là ou les foyers modestes ayant des revenus inférieurs à 1000 euros ne déboursent que 222 euros.
La consommation dépend donc du revenu disponible*, c'est-à-dire du revenu restant à disposition du ménage après les prélèvements obligatoires (impôts par exemple) pour être, en autre, dépenser dans l'alimentaire. Ainsi, le niveau du revenu disponible (ménage les plus pauvres, les plus riches) modifie la structure des dépenses alimentaires (ex: du pain, du poisson...). Mais également son évolution, lorsqu'ils s'enrichissent, les ménages modifient leurs achats. L'élasticité-revenu* de la demande mesure cet impact: elle est normalement positive (lorsque le revenu augmente, la consommation augmente aussi). Mais son intensité diffère selon le type de produit: les biens inférieurs ont une faible élasticité-revenu, tandis que les biens supérieurs (poisson par exemple) ont une élasticité-revenu forte.
c)...restent fortement différenciés
Au-delà de cette charge plus ou moins importante dans le budget, on sait que plusieurs produits alimentaires fonctionnent comme de véritables "marqueurs sociaux". On le voit notamment à travers différents indicateurs et plusieurs enquêtes.
Dans l'enquête Budget des familles de l'Insee, les postes traditionnellement sous-représentés chez les ménages les plus pauvres sont les poissons et produits de la mer, les boissons alcoolisées, les fruits frais et transformés. À l'inverse, les produits surreprésentés chez ces ménages sont les produits céréaliers, les corps gras et les viandes.

Patrick Etiévant, coordonnateur de l'étude à l'INRA, nous explique le poids des normes sociales dans nos comportements alimentaires. Ce sont elles qui imposent de manger parce que c'est l'heure du dîner alors qu'on n'a pas faim, et qui pertubent ainsi les mécanismes physiologiques de notre corps. De plus, les choix alimentaires sont nettement corrélés au milieu social. Les personnes les moins diplômées et les moins riches (décile 1) consomment plus de pain, de charcuterie, quand les plus fortunées (décile 10) se tournent plus volontiers vers les légumes, le poisson... Des raisons économiques bien sûr, mais également des représentations sociales, d'autant plus que les populations les plus défavorisées sont moins réceptives au messages nutritionnels. Conséquence, l'obésité frappe beaucoup plus durement les plus démunis. "Contrairement à ce que l'on croit souvent, le consommateur n'est pas libre dans ses choix alimentaires, dictés par différents déterminants", précise la sociologue Séverine Gojard*.
On retrouve également des différences au sein même des types de produits: ainsi, les ménages modestes n'achètent pas les mêmes variétés d'huile que les ménages aisés (davantage d'huile de colza pour les premiers, d'huile d'olive pour les seconds).
Ainsi, l'alimentation reste l'une des premières dépenses des ménages. Ces dépenses accusent de diverses manières les effets des inégalités sociales. Dans la répartition des coûts alimentaires, les écarts persistent, voire s'accentuent, entre les deux extrémités de l'échelle des niveaux de vie: le poids de la consommation s'accroît en moyenne mais régresse dans le bas de l'échelle des niveaux de vie.
En revanche, les écarts de consommation se reserrent dans certaines catégories de l'alimentation à domicile.
2. Les comportements alimentaires
Les mauvaises habitudes alimentaires individuelles peuvent contribuer au gain de poids; manger régulièrement des portions trop grosses, avoir une alimentation qui comporte fréquemment des aliments riches en gras, en sel ou en sucre, prendre des repas de manière irrégulière, ce qui incite aux compulsions alimentaires.
Ces comportements sont parfois influencés par des états émotifs. C’est le cas si l’on mange pour échapper à l’ennui, à la solitude, au stress, à l’anxiété, etc., ou si la nourriture devient un moyen de se récompenser.
Les compulsions alimentaires peuvent refléter un ennui temporaire, mais il arrive qu’elles soient le signe d’une grande détresse psychologique. Manger devient alors un mécanisme de survie, pour apaiser une souffrance et un état d’être difficile à supporter.
L'environnement complet du consommateur doit être modifié pour faire évoluer ses comportements alimentaires. Lorsque l'on mange dans le bruit ou devant la télévision, les mécanismes physiologiques de régulation de l'appétit sont pertubés. D'où l'importance d'avoir des cantines calmes, notamment pour les enfants. Par ailleurs, les écoles ont donc décidé de mener des opérations comme un fruit pour la récré comme l'a souligné Pascale Briand, directrice générale de l'alimentation au ministère, "les enfants sont porteurs de messages vers leurs parents".


Au début du XXe siècle, l'économiste T. Veblen définit la notion de consommation ostentatoire*, par laquelle une classe sociale* cherche à manifester sa richesse, sa réussite et sa puissance.
Dans nos sociétés, on observe une inégale répartition des ressources économiques, du prestige et du pouvoir. Le sociologue français Pierre Bourdieu* (1920 - 2002) a montré que les modes de vie restent différenciés selon l'origine sociale. Pour lui, la société reste structurée par la présence de trois capitaux inégalement répartis :
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Le capital économique, qui comprend en particulier le revenu.
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Le capital social, qui comprend en particulier l'ensemble des relations de l'individu.
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Le capital culturel, qui correspond au niveau d'éducation.
Les inégalités économiques peuvent ainsi exercer une contrainte sur certaines dépenses, ce qui explique que les pratiques de consommation diffèrent selon les groupes sociaux*.
Certaines pratiques de consommation sont spécifiques à certains groupes sociaux et contribuent alors à renforcer les divisions sociales. Ainsi, le sociologue Jean Baudrillard (dans son ouvrage La Société de Consommation datant de 1970) voit la consommation comme un langage et un moyen de différenciation sociale entre les individus. Les choix des individus sont alors dictés par ceux de leur groupe d'appartenance, même si ces choix ne correspondent pas nécessairement aux désirs personnelles des individus.
Comportements alimentaires vu par un artiste visionnaire

Caddie de Duane Hanson*, 1969
Description et analyse
"Supermarket Lady ou Caddie" est un oeuvre réaliste. La sculpture réalisée à partir d'un moulage est de taille réelle. Le caddie est rempli de produit de consommation que l'on peut trouver dans n'importe quel supermarché partout dans le monde. On peut y remarquer des marques, des emballages, des produits de la vie de tous les jours. Autrement dit, des objets de la vie quotidienne qui n'ont qu'une valeur économique et consommatrice.
Duane Hanson* descend de ces générations d'artistes. En utilisant de réels emballages ou objets achetés en supermarché, il veut nous décrire et nous faire comprendre la société de son époque, c'est-à-dire la société de consommation.
En effet, nous avons sous nos yeux une grosse femme poussant un caddie qui déborde de produits. Cette femme sculptée et habillée de vêtements traduisent le miroir de la société américaine " American way of life ". Pour effectuer ses sculptures, il fait appel à de réel modèle vivant pour faire des moulages de leur corps afin d'offrir aux spectateurs une réelle vision de la vie quotidienne américaine. Il se veut hyperréaliste. Les vêtements, les bigoudis, ou l'apparence de cette femme traduit l'appartenance à un milieu modeste. En effet, Duane Hanson montre une femme issue d'une classe moyenne très modeste, sujet qui sera récurrent dans ses oeuvres. Enfin, cette femme, en plus d'être le reflet d'une société, suscite, chez celui qui la regarde, des sentiments proches du dégoût, de la consternation voire de la répulsion.
Duane Hanson s'est amusé, dans cette sculpture, à associer étroitement la femme et le caddie: les points communs entre les deux sont nombreux. Par exemple, les deux débordent: un caddie plein à craquer, une femme serrée dans ses vêtements qui montre l'embonpoint de son corps. Elle se présente excessive tout comme le contenu du caddie. Duane Hanson offre sans cesse une comparaison entre la femme et le caddie.
Interprétation
En effet, à travers cette femme, Duane Hanson nous présente le consommateur comme un zombie ou un drogué errant dans les rayons d'un supermarché en poussant son caddie. Il porte donc un regard non seulement amusé mais surtout critique sur la société de consommation, dressant face à chacun de nous un miroir. Au final, Caddie est non seulement une allégorie de la société de consommation et de l'American way of life, mais aussi un portrait blessant où chacun d'entre nous peut se reconnaître.
Il semblerait donc que la morphologie soit en partie le reflet de l'appartenance à une classe sociale, et parce que l'obésité est un stigmate dans notre société.